Handicap : briser le tabou de la sexualité

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Pierre (*) habite dans le Sud-ouest lyonnais. Il se livre dans un témoignage sans faux-semblant. Sa maladie neurologique, ses effets sur son corps, son quotidien, sa vie, il en parle pour « qu’un sujet trop souvent exclu » soit enfin abordé.

La maladie de Pierre enferme son corps… Mais pas son esprit, ni ses rêves et ses envies. Il souhaite lever le voile sur un tabou, celui de la sexualité des personnes handicapées.

« Je suis atteint par une maladie neurologique depuis une dizaine d’années. La maladie atrophie les muscles jusqu’à leur paralysie totale. La virilité est toujours présente », explique-t-il.

L’évolution de sa maladie conditionne, de fait, la manière de vivre sa sexualité. « Les mains et les jambes s’affaiblissent considérablement. Les caresses et les positions deviennent difficiles. La libido du conjoint s’en ressent obligatoirement, son partenaire n’est plus le même… La maladie ne nous rend pas très sexy, il faut bien le reconnaître. L’évolution de ma maladie a éloigné au fur et à mesure mon épouse. L’usure physique et mentale a fait que nous nous sommes séparés. » Une séparation qu’il demande de ne pas juger ni condamner : « Être handicapé ne veut pas seulement dire rester dans un fauteuil roulant, mais aussi moins sortir, faire moins de rencontres et très souvent perdre ses amis. La solitude devient permanente et angoissante. »

Assistant sexuel : un métier illégal en France

Un jour, il entend parler dans un reportage d’assistants sexuels à l’étranger. « Je sais que le service est considéré en France comme de la prostitution. À la recherche d’une rencontre, on me conseille de regarder sur Internet “massage tantrique”. Je réponds à une annonce précisant “rencontre pour personnes handicapées”. Bingo, il s’agit bien d’une assistante sexuelle ! Nous échangeons pour faire connaissance et évaluer notre respect et confiance mutuels. Elle explique comment se déroule une séance. Elle m’envoie sa photo, elle est jolie. Elle me parle du tarif et de la durée de la séance. J’accepte et nous convenons d’un premier rendez-vous. »

Une association assure des formations

Et de souligner : « Bien qu’étant illégal en France, des femmes et des hommes reçoivent une formation spécifique. C’est l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas) qui assure les formations et qui lutte pour la reconnaissance du rôle d’assistant sexuel (lire par ailleurs). Pour en revenir à notre premier rendez-vous, je suis surpris : elle est calme et elle parle doucement. La sensualité prévaut à la sexualité. C’est un vrai moment relaxant. Souhaitant faire une nouvelle rencontre, je contacte l’Appas. L’association me met en contact avec une femme. Nous ferons connaissance par Skype. Nous échangerons nos besoins et nos attentes. Elle est douce et tendre, toujours à l’écoute. » « Voilà mon histoire à ce jour, confie Pierre. J’espère – sans plus y croire – que je pourrai vivre de nouvelles histoires d’amour avant de partir. Aimer et être aimé est quelque chose d’unique. En tant que malade condamné à mort, je sais ce que l’amour peut apporter : joie et envie de vivre, optimisme et moral. Je vais continuer à voir mes deux assistantes sexuelles. Elles m’apportent bien-être et sérénité. Pendant une heure, je lâche entièrement prise, je suis ailleurs… À en oublier complètement la maladie. »

(*) Prénom d’emprunt.

 

« UN ACCOMPAGNEMENT À L’AUTONOMIE AFFECTIVE ET SEXUELLE »

Sophie (*) , accompagnante sexuelle

Sophie habite une autre région et mère de famille. Elle est l’une des deux accompagnantes de Pierre. Quelle formation avez-vous suivi ?

« J’ai fait des études dans les langues étrangères. J’ai eu une carrière dans l’administratif, jusqu’à un poste de direction, j’ai fait un MBA ( master of business administration ). Je le précise pour montrer que dans l’accompagnement sexuel, il y a aussi des gens qui ont fait des études. Et dans ma vie personnelle, j’ai vécu trois accidents dont un accident de la route, qui m’a laissé un handicap au bras gauche, et un cancer. J’ai donc une expérience personnelle du handicap et du monde hospitalier. »

Comment définiriez-vous votre activité ?

« J’ai formulé avec mes mots ce que je fais : un accompagnement à l’autonomie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap. L’association qui m’a formée parle aussi d’accompagnement. Dans le terme “assistant”, il y a, pour moi, la notion d’un sachant et un qui apprend. Dans l’accompagnement, il y a l’idée de deux compagnons qui partagent. Et, pour certains, il y a possibilité d’avoir une autonomie. »

Pourquoi avoir décidé de devenir accompagnante ?

« La sexualité chez les valides est essentielle pour beaucoup. Or, je me suis rendu compte, lorsque j’étais en centre de rééducation, que, pour les soignants, la première des priorités était de faire marcher à nouveau le corps alors que pour beaucoup de malades, les priorités étaient différentes. Pour eux, la préoccupation première était de savoir comment évacuer leurs déchets de la manière la plus autonome possible. La deuxième était la sexualité. J’ai pensé que je pouvais apporter quelque chose. Pour les personnes en situation de handicap, il y a plusieurs difficultés. La première étant d’admettre que l’on a besoin d’aide et notamment d’une aide payante. Ensuite, il y a la difficulté de trouver une association. Plusieurs existent à l’étranger. L’Appas est la seule en France qui met en relation. »

Quels contours avez-vous choisi de donner à votre activité ?

« Cela fait maintenant près de deux ans que j’accompagne des hommes en situation de handicap. J’ai suivi une formation, j’affine mes compétences par d’autres formations. Mes prestations ne sont pas bénévoles. Le paiement aide au détachement, car le risque d’attachement est important. Je ne me considère pas comme prestataire de services, je ne veux pas en vivre. Je choisis mes accompagnements, pas plus de quatre à cinq par mois. Et pour la moitié sur la durée. Je fais aussi de l’accompagnement de fin de vie par le biais d’une association. Et je suis en train de me former à l’accompagnement de maladies chroniques pour aider les gens à retrouver une vie sociale. »

(*) Prénom d’emprunt.

Propos recueillis par Émilie Charrel pour Le Progrès.fr

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