Loi ELAN sur le logement : le témoignage de Clotilde, étudiante en fauteuil roulant

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Article du Figaro.fr : Clotilde Aubet est étudiante à Sciences Po. Avec «Intermittente du fauteuil», un témoignage intime et souvent teinté d'humour, elle raconte son quotidien, les peines et les joies d'une jeune femme en situation de handicap, dans une ville parisienne pas toujours si accessible. Bouleversant.

FIGAROVOX.- Votre livre, comme un abécédaire, s'ouvre à la lettre A sur «Acceptation». Vous écrivez qu'il faut «accepter, pour continuer à avancer et à vivre». Est-ce aussi pour mieux accepter la maladie et aller de l'avant que vous avez choisi de témoigner en publiant ce livre?

Clotilde AUBET.- Accepter est essentiel pour aller de l'avant, mais il m'a d'abord été indispensable d'accepter avant de pouvoir partager à d'autres mon expérience en fauteuil roulant, notamment grâce à ce livre. Dans mon esprit, ce livre se veut avant tout un témoignage, une plongée au cœur des joies et des galères du fauteuil roulant pour ceux qui ne les connaissent pas ou encore si peu. Je ne recherche pas la pitié de mes lecteurs, pitié qu'on m'accorde bien souvent à coups de «Bon courage, ça ne doit pas être facile» ou «Cela doit être vraiment dur, je ne sais vraiment pas comment vous faites» Évidemment, ce n'est pas facile tous les jours. Mais je ne suis pas la seule pour laquelle c'est le cas. Ce que je recherche, c'est de la compréhension. Sensibiliser les gens pour qu'ils se rendent compte de ce que cela veut dire être en fauteuil roulant et avoir une maladie chronique, tout en acceptant de continuer à aller de l'avant. Sensibiliser pour que, peut-être, ils arrivent désormais à voir, avant son fauteuil roulant, la personne qui s'y trouve.

En vous lisant, on comprend que le moindre déplacement dans une ville comme Paris relève d'un exploit sportif! La circulation dans les rues est un parcours d'obstacles, les transports en commun (à l'exception notable du bus) sont rarement accessibles… Comment conserver un mode de vie ordinaire malgré tout?

Existe-t-il vraiment un mode de vie «ordinaire»? Si avoir un mode de vie ordinaire veut dire faire ses courses, aller en cours, sortir, voir amis et famille, voyager, alors oui, on peut conserver un mode de vie «normal». Même si cela nécessite quelques aménagements et une certaine organisation. Les déplacements sont effectivement ce qui reste le plus compliqué, surtout à Paris où les stations de métro ne sont quasiment jamais accessibles. Le bus, à part les quelques arrêts non-accessibles, reste une valeur sûre. Sauf lorsque la rampe électrique ne marche pas ou qu'un véhicule en double-file à l'arrêt empêche le conducteur de bus de la sortir. À circuler sur les trottoirs parisiens, on devient effectivement très bon en slalom, entre les poubelles, les terrasses de café un peu envahissantes ou les piétons absorbés par leur téléphone. Avec une bonne dose de patience et d'humour, on arrive donc à avoir une vie ordinaire, tout en sachant qu'elle sera aussi pleine de surprises grâce au fauteuil.

Un sujet revient régulièrement dans votre livre: l'attitude des autres à votre égard, et le regard qu'ils portent sur vous. Entre cet étudiant qui se plaint de la discrimination positive, cette dame qui vous reproche de ne pas faire attention aux piétons … On a tout de même envie de sourire, lorsque vous racontez quelques gaffes de jeunes enfants, pour qui le fauteuil roulant est un objet de curiosité! Cet effet que vous produisez souvent est-il difficile à supporter au quotidien?

Je ne demande ni pitié ni commisération aux gens que je rencontre, mais juste de l'attention et de la considération. Qu'on comprenne bien que je ne suis ni une bête curieuse qu'on peut dévisager à loisir, ni un petit animal fragile qui ne peut ni ne sait rien faire et souffre en silence. Il est arrivé plusieurs fois qu'on me demande comment je faisais pour garder le sourire dans ma situation. La première fois, je reconnais que ça m'a un peu surprise: pourquoi une personne en situation de handicap serait-elle forcément malheureuse et déprimée? Pourquoi ne pourrait-elle pas être heureuse? Handicap et bonheur, les deux termes semblent incompatibles pour beaucoup de personnes. Alors si le fait de me voir en fauteuil roulant en train de sourire peut les faire évoluer sur cette question, ce sera déjà une victoire.

La possibilité pour les personnes en situation de handicap d'accéder aux études supérieures reste un vrai sujet.

Néanmoins, ce que je préfère ce sont ces rares fois où les gens que je côtoie oublient tout simplement que je suis en fauteuil, non par mauvaise volonté, mais juste parce qu'ils arrivent à voir avant tout la personne que je suis, et non pas le fauteuil dans lequel je suis assise. Juste parce qu'alors je sais qu'ils ne me collent plus l'étiquette «handicapé».

À Sciences Po, quelles difficultés avez-vous rencontrées pour poursuivre vos études? De manière générale, jugez-vous que l'enseignement supérieur en France n'est pas encore suffisamment accessible aux étudiants en fauteuil?

La possibilité pour les personnes en situation de handicap d'accéder aux études supérieures reste un vrai sujet. De mon côté, je dois reconnaître que j'ai eu beaucoup de chance: je voulais faire mes études à Sciences Po, j'ai été prise là-bas et il se trouve que Sciences Po est accessible en fauteuil roulant et dispose d'un service très efficace pour les étudiants en situation de handicap. La plupart des difficultés ont pu se régler facilement grâce à l'attention et à la bonne volonté des personnes concernées dans l'administration. La seule vraie difficulté s'est présentée lors d'une planification d'examens où je devais, dans la même journée, faire 11h 30 d'épreuves à cause de mon tiers-temps dont j'ai pourtant besoin. Après de longues négociations de la part du service pour les étudiants en situation de handicap, l'un des deux examens a pu être décalé. Dans le choix de la destination pour la troisième année qui se fait à l'étranger, il a aussi fallu faire attention à la question de l'accessibilité. Mais là encore, le service pour les étudiants en situation de handicap proposait une aide, tant financière qu'humaine, pour que tout se passe au mieux. Les différents aménagements prescrits par la Médecine universitaire préventive ont toujours été mis en place, que ce soient les tiers-temps et le clavier aux examens, ou les preneurs de note en cours.

Je suis consciente de cette chance que j'ai eue, d'être étudiante en fauteuil roulant à Sciences Po. En effet, lorsque je m'étais renseignée en Terminale pour trouver d'autres parcours d'études supérieures, j'avais rapidement éliminé certaines possibilités, comme la fac, juste parce que ce n'était absolument pas accessible…

La loi ELAN (sur l'évolution du logement) a été adoptée en première lecture à l'Assemblée. Elle prévoit notamment de diminuer drastiquement les quotas de logements neufs accessibles aux personnes en situation de handicap… Pourquoi? Et quel va être l'impact d'une telle décision pour les personnes handicapées?

Chercher un logement sur Paris, sans être en fauteuil, est déjà assez compliqué, mais alors avec un fauteuil roulant, ça devient épique. Tout simplement parce que les immeubles et constructions plus anciennes ne sont pas accessibles en fauteuil roulant: absence d'ascenseur ou tout simplement exiguïté de l'ascenseur existant, marches pour rentrer dans l'immeuble... En effet, il suffit d'une marche pour que ce ne soit plus accessible en fauteuil roulant.

Être optimiste avec une maladie, c'est accepter ce que chaque jour permettra, de façon réaliste.

La loi prévoyait précédemment que 100 % des logements neufs devaient être accessibles. Je suis d'accord avec ceux qui trouvent que c'était trop élevé. Mais de là à, comme le fait la loi ELAN, revenir à 10 %, même si 100 % des logements doivent être évolutifs, on aurait pu trouver un juste milieu. Il faut noter qu'on parle de logements neufs et non pas de l'ensemble des logements. De plus, la loi précédente prévoyait déjà un ensemble de dérogations, par exemple, les immeubles de moins de quatre étages ne devaient pas obligatoirement disposer d'un ascenseur, ainsi seuls les appartements et les parties communes du rez-de-chaussée devaient être accessibles en fauteuil roulant. La notion de «logements évolutifs» devrait être définie par décret dans les prochains mois… Reste à voir ce que cela voudra dire.

À la lettre «H», on tombe sur… «Humour»! On peut donc en rire?

À mon avis, oui! Même si toutes les personnes en situation de handicap ne seront peut-être pas d'accord avec moi. Ce qui est compréhensible s'il s'agit d'un humour méchant ou moqueur. Mais les plaisanteries ne manquent pas, et permettent de normaliser la situation, même si peu de personnes osent se lancer, peut-être par délicatesse ou tout simplement par gêne. La blague la plus classique en fauteuil demeure le fameux «Ça roule?», souvent lancé avec un air malicieux par le plaisantin, mais que certains font parfois par inadvertance, se rendant compte après coup de l'incongruité de la formule, adressée à quelqu'un qui, effectivement, est censé rouler. Si ça ne roule pas, c'est qu'il y a un problème!

Et enfin, «O» comme… «Optimisme»! Comment parvenez-vous à le rester… malgré tout?

Être optimiste avec une maladie, c'est accepter ce que chaque jour permettra, de façon réaliste. C'est aussi accepter de prendre son mal en patience lorsqu'il faudra remettre à plus tard car le corps ne suivrait pas dans l'immédiat. Ainsi, il faut parfois ajuster rêves et projets, sans toutefois y renoncer, mais en prenant parfois des chemins détournés pour les atteindre. Être optimiste avec une maladie, c'est goûter les petites victoires que chaque journée apporte, toutes ces fois où j'ai dépassé les limites imposées par la maladie, que ce soit voyager seule ou rentrer chez moi après une soirée. C'est vivre envers et contre tout et se battre pour cette vie que l'on a, en dépit des limites imposées par la maladie.

Article issu du site Le Figaro.fr écrit par Paul Sugy 

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