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  • Brèves juridiques de mars 2013 de PREZIOSI-CECCALDI, Avocats associés

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    1. Actualité du dommage corporel et de l’indemnisation

    a) Encore deux décisions intéressantes à retenir ce mois-ci.

    • La première a été rendue par le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) d’Arras en date du 17 décembre 2012 (recours n° 20110339). Les faits étaient les suivants :

    Renversé par une voiture alors qu’il était à vélo, un jeune garçon de 13 ans, victime d’un polytraumatisme à prédominance crânio-encéphalique, s’est vu prescrire un séjour d'évaluation neurologique à l'hôpital de Liège, en Belgique. Son père, tuteur légal, en a régulièrement sollicité la prise en charge auprès de son organisme social de rattachement, la CPAM de l'Artois. Celle-ci lui a notifié une décision de refus aux motifs, en substance, que les soins en question nécessitaient une autorisation préalable qui n’avait pas été demandée et, en tout état de cause, qu’il s’agissait de soins programmés à l’étranger qui n’étaient pas couverts par la réglementation française.

    Cette décision a été contestée devant la Commission de Recours Amiable de la CPAM de l'Artois qui, à son tour, et pour les mêmes raisons, a rejeté la demande de prise en charge. Nous avons alors saisi le TASS d’un recours aux fins d’annulation. Par un premier jugement en date du 30 décembre 2011, il a ordonné une expertise médicale confiée à un médecin spécialiste avec mission de "Dire si le séjour d'évaluation au CHU de Liège relativement à [la jeune victime] comprend des actes qualifiables de soins dont la prise en charge est prévue par la réglementation française."

    L’expert judiciaire a procédé à sa mission et a déposé un rapport en date du 20 juin 2012 aux termes duquel "lors d'un séjour d'évaluation neurologique au CHU de Liège, les investigations complémentaires et les données de l'examen neurologique et neuropsychologique ont permis de redresser le diagnostic d'état végétatif chronique par celui d'état de conscience minimale." Il a ajouté que "toutes ces investigations sont des pratiques totalement validées pour mieux faire la part entre l'état végétatif chronique et l'état de conscience minimale " avant de conclure comme suit : "la prise en charge de soins à l'étranger relève de l'article R 322.4 du code de la sécurité sociale et ne peut être refusé puisque les soins figurent dans la pratique de soins adaptée à cette pathologie. Cette hospitalisation a regroupé des actes validés, prévus par la réglementation française." Fort logiquement, sur la base de ce rapport, le TASS, par la décision précitée, a fait droit à la demande de notre client et, infirmant la décision de la commission de recours amiable, a condamné la CPAM à prendre en charge les soins programmés en Belgique pour la jeune victime.

    • La seconde décision à relever a été prononcée par la Cour d’appel de Bastia en date du 6 février 2013 (RG n° 11/00733). 

    Tenue d’évaluer le préjudice corporel d’un jeune chef d’entreprise (38 ans) victime d’un grave accident de la route duquel il conservait, notamment, des séquelles neurologiques et neuropsychologiques très invalidantes lui valant un taux d’AIPP de 50 %, la Cour a fait preuve de pragmatisme et d’objectivité. Elle a en effet indemnisé les besoins en aide humaine de notre client (15 heures par semaine) sur la base d’un taux horaire de 20 € pour les arrérages échus et de 21 € pour les arrérages à échoir (indemnisés sous la forme d’un capital de 450 040, 50 €) en s’appuyant sur des devis locaux attestant du tarif réel de cette assistance. On peut aussi relever la somme de 444 897, 88 € qui est allouée au titre du préjudice professionnel futur dont la réalité était contestée par l’assureur (le Lloyd’s de Londres) ainsi que celle de 15 000 € du chef du préjudice d’établissement, la Cour ayant reconnu que l’utilisation d’une canne peut constituer un frein à la rencontre d’un partenaire.

    b) Un très important arrêt de la Cour de cassation (2ème chambre civile, 28 févr. 2013, pourvoi n° 12-23706) doit aussi être relevé. Il concerne la question de l’éventuelle imputation de la Prestation compensatoire du handicap (PCH), servie par les Conseils Généraux, sur les indemnités allouées aux victimes de dommages corporels, tout particulièrement sur le poste assistance par tierce personne. S’appuyant sur un vide juridique, les régleurs (assureurs, fonds de garantie, ONIAM…) prétendent de plus en plus souvent, pour réduire leur obligation indemnitaire, que cette prestation doit se déduire des sommes octroyées aux victimes. La réponse de la Haute Cour, saisie dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), est claire et précise : les personnes handicapées peuvent cumuler les indemnités réparatrices versées amiablement ou judiciairement avec cette prestation qui est dépourvue de caractère indemnitaire et dont le montant est modulé en fonction des besoins et des ressources de chaque victime. Dont acte. 

    2. Réparation intégrale et autres principes d’indemnisation

    Plusieurs décisions de la Cour de cassation doivent être signalées.

    a) La Cour suprême a d’abord réitéré son refus des barèmes d’indemnisation (2ème chambre civile, 22 nov. 2012, Gazette du Palais, 15-16 févr. 2012). L’espèce était la suivante :

    Pour le décès de leur mari et père, tué par un gendarme sous leurs yeux, l’épouse et l’enfant du défunt avaient perçu des 1ers juges, au titre de leurs préjudices d’affection respectifs, une somme de 56 000 € chacune. La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion réduisait ces sommes respectivement à 30 000 € et 25 000 € au motif qu’il « convient de rester, malgré tout, dans les limites de certains barèmes car toute indemnisation a ses limites »…  La Cour de cassation censure à juste titre cette position en rappelant qu’en statuant par référence à un barème, sans procéder à l’évaluation du dommage en fonction des seules circonstances de la cause, la Cour d’appel a violé le principe de réparation intégrale. Ce faisant, la Haute Cour envoie un nouveau signal mettant en garde contre toute velléité de barémisation.

    b) Dans une 2nde espèce (2ème chambre civile, 13 déc. 2012, pourvoi n° 11-13014), la Cour de cassation a réaffirmé que l’action en réparation au titre d’une aggravation s’apprécie de façon autonome, sans égard aux prescriptions de l’action concernant le dommage initial ou les éventuelles aggravations antérieures. Les faits dont elle était saisie étaient les suivants. Une jeune femme est victime d’un accident de la route en 1984. Le dommage initial est consolidé en 1986 et son indemnisation intervient en deux temps, en 1988 et 1990. Une aggravation survient en 1996 ; elle est considérée comme consolidée en 1998 et définitivement indemnisée en 2004. En 2008, la victime fait état d’une nouvelle aggravation de son état de santé et en sollicite l’indemnisation. L’assureur (ALLIANZ) s’y oppose au motif que l’action ainsi engagée serait prescrite pour avoir été introduite plus de dix ans après la consolidation du premier dommage aggravé (1998). La Cour d’appel de Basse-Terre suit son raisonnement et déboute la victime, laquelle se pourvoit alors en cassation.

    La Cour suprême lui donne raison et censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 2226 du Code civil (aux termes duquel la prescription de l’action en réparation d’un dommage corporel est de 10 ans à compter de la consolidation du dommage initial ou aggravé) en énonçant que le recours en aggravation s’apprécie en tant que tel, sans égard, du point de vue de la prescription, au dommage initial ou à une éventuelle aggravation antérieure. Cette solution tient du bon sens : suivre l’assureur serait revenu à dire qu’aucune aggravation de l’état de santé d’une victime ne peut intervenir au-delà des dix années après qu’elle ait été consolidée, ce que l’expérience dément hélas régulièrement.

    c) En matière de transaction, la Cour de cassation (1re chambre civile, 14 nov. 2012, Gazette du Palais, 15-16 févr. 2012) a rappelé un principe bien connu : seuls les postes de préjudice expressément visés dans une transaction sont revêtus de l’autorité de chose jugée et, partant, ne sont plus indemnisables (sauf aggravation bien entendu). On n’insistera jamais assez sur l’importance de la rédaction d’une transaction et, singulièrement sur la nécessité qu’elle identifie aussi clairement que possible les postes de préjudice indemnisés, en évitant l’emploi d’expressions maladroites et portant à confusion.

    d) On sait que l’article L.376-1 du Code de la sécurité sociale impose à la victime ou à ses ayants-droit d’appeler en déclaration de jugement commun les organismes sociaux (CPAM et autres) auxquels la victime est (ou était) affiliée. La Cour de cassation (chambre criminelle, 16 oct. 2012, Gazette du Palais, 22 févr. 2012) vient d’indiquer que cette mise en cause ne s’impose pas lorsque seule la réparation des postes de préjudice personnels (souffrances endurées, déficit fonctionnel temporaire, préjudice esthétique, préjudice d’agrément…) est sollicitée.

    e) Une espèce singulière retient enfin l’attention. La victime d’un accident présente un bégaiement, qui  disparaît avant la consolidation. Elle en réclame réparation. La Cour suprême (2ème chambre civile, 22 nov. 2012, pourvoi n° 11-25661) fait droit à sa demande en énonçant que ce bégaiement, qui constitue un trouble de l’élocution médicalement constaté et directement imputable à l’accident, est indemnisable, au titre du préjudice esthétique temporaire.

    Cet arrêt confirme que le préjudice esthétique temporaire doit être entendu de manière large. Il n’est pas réservé aux seuls « grands » traumatismes (grands brûlés par exemple) mais est indemnisable dès qu’il est objectivé ; il concerne l’esthétique visuelle mais aussi toute autre forme d’esthétique, par exemple vocale.

    Source : PREZIOSI-CECCALDI, Avocats associés