Travailleurs handicapés: un "coup de com'" du gouvernement?

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Le gouvernement se réjouit de ses mesures censées favoriser l'emploi des personnes handicapées. Mais il en faudrait plus.

Le projet de loi avenir professionnel, examiné au Sénat à compter de ce mercredi 27 juin, revoit l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH). Il refond notamment les règles entourant le fameux quota de 6% de salariés handicapés, que les entreprises de plus de 19 salariés doivent atteindre au sein de leur effectif, pour ne pas s'acquitter d'une contribution à l'Agefiph, l'association qui gère le fonds pour l'insertion professionnelle de cette population d'actifs. 

Le gouvernement assure que son cap va permettre de "renforcer la mobilisation des employeurs". Mais alors que le taux de chômage de ces individus culmine à 19%, sa réforme peut-elle vraiment changer la donne? Rien n'est moins sûr.  

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Pas question en effet de revoir le barème de 6%, même si un débat parlementaire aura désormais lieu tous les cinq ans, pour le faire éventuellement évoluer. Or, le taux d'emploi direct de personnes handicapés est seulement de 3,4% dans le privé. (C'est un peu mieux dans le public, mais la situation n'est pas tout à fait comparable, en raison de règles de calcul différentes.) Pas question non plus d'obliger les entreprises de moins de 20 salariés à remplir l'OETH. Simplement, à compter du 1er janvier 2020, elles aussi devront déclarer leur taux d'emploi. Mais aucune pénalité financière en cas d'effort zéro. 

L'emploi direct privilégié 

Ce qui va changer, c'est la façon dont les entreprises concernées par l'OETH peuvent remplir leur obligation d'emploi. Ainsi, le quota de 6% ne pourra plus être atteint que par de l'emploi direct. La sous-traitance au milieu protégé - établissement et service d'aide par le travail (Esat) ou entreprise adaptée (EA) - permettra seulement des déductions fiscales.  

Idem en ce qui concerne le recours à des travailleurs indépendants handicapés, qui pouvaient être comptabilisés dans le quota depuis la loi Macron de 2015, et ne le seront plus. L'association H'up, qui s'était battue à l'époque pour cette avancée, dénonce un retour en arrière. "Puisque les entreprises communiquent sur leur taux d'emploi, les travailleurs indépendants auront moins de chances d'être sollicités, par rapport à un salarié, s'alarme Didier Roche, son président. Nous n'excluons pas de saisir le Défenseur des droits sur le fondement d'une inégalité de traitement."  

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Crainte légitime ou pas de la part de ce militant, la réforme du gouvernement est en tout cas lacunaire, si son objectif est de valoriser l'emploi direct. "Elle ne s'attaque notamment pas à l'un des problèmes du système actuel : certaines entreprises poussent leurs salariés en interne à demander une reconnaissance de travailleurs handicapés, assure Didier Roche. Une façon d'augmenter leur taux d'emploi, sans procéder à aucune embauche." Il faudrait selon lui "les challenger sur le ''flux''". 

Muriel Pénicaud, ministre du travail, est associée à la Secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel (à droite) pour proposer une réforme de l'insertion des handicapés dans le monde du travail début 2018.

Muriel Pénicaud, ministre du travail, est associée à la Secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel (à droite) pour proposer une réforme de l'insertion des handicapés dans le monde du travail début 2018. AFP

Le ministère du Travail a par ailleurs inscrit dans le texte que "tous les types d'emploi seront pris en compte pour l'atteinte des 6%, quel que soit le statut : stage, période de mise en situation professionnelle, intérim..." Des modalités présentées comme une innovation pour "casser les stéréotypes" : l'important est que le handicap intègre les collectifs de travail, estime l'exécutif. En gros, une fois que l'entreprise aura sauté le pas d'accueillir un travailleur handicapé, même pour un stage, ou pour une mission en intérim, elle hésitera moins à s'engager sur un recrutement en bonne et due forme. Certes. Sauf qu'en réalité, il est déjà possible d'intégrer ces types d'emplois pour calculer son quota !  

Les accords agréés limités

Trois mesures du projet de loi, en revanche, trouvent globalement un écho positif. D'abord, la simplification de la déclaration OETH, à travers la déclaration sociale nominative. De la paperasse et de la complexité en moins. Ensuite, le projet de loi corrige les effets pervers des "accords agréés". Il s'agit d'accords passés entre l'entreprise et les partenaires sociaux : ils sanctuarisent un certain budget pour soutenir leur politique d'emploi des personnes handicapées, en contrepartie de quoi aucune contribution n'est due à l'Agefiph. Problème, l'argent sert souvent à des actions "secondaires" de sensibilisation ou de communication autour du handicap. Et sur le long terme, il y a moins d'embauches à la clé : "16% des établissements de plus de 500 salariés sous accord dépassent le seuil légal de 6%, contre 19% sans accord", a noté le ministère du Travail. D'où l'idée de ne plus permettre qu'un seul renouvellement de ces accords de trois ans. Soit six ans de mise en oeuvre au total.  

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Le texte en examen au Parlement prévoit aussi de revoir la liste des emplois exigeant des conditions d'aptitude particulière (ECAP). Il s'agit de professions (conducteurs d'engins dans le BTP, personnel naviguant, chauffeur routier, etc.) comptant différemment pour le calcul du quota. En clair, ne pas avoir de personnes handicapés sur ces postes est moins pénalisant financièrement. "Au moment où la liste a été mise sur pied, dans les années 80, il n'y avait pas encore les nouvelles technologies permettent des aménagements de poste comme maintenant", explique Anne Baltazar, présidente de l'Agefiph. Cette remise à plat est donc la bienvenue.  

La question du financement pas réglée

Reste qu'aucune de ces dispositions ne paraît en elle-même être de nature à encourager des recrutements en masse de personnes handicapées. "L'un des gros problèmes de cette population, c'est le manque de formation, signale Christine Soulie", directrice générale de Vivre Autrement, qui gère trois Esat. Les deux tiers des demandeurs d'emploi handicapés ont une formation inférieure ou égal au CAP/BEP. Le gouvernement compte sur le développement de l'apprentissage (avec la généralisation de référent handicap dans les CFA) et sur son plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour élever le niveau de cette population. Une grande ambition qui tient plus du pari.  

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Un autre noeud, et non des moindres, n'est pas réglé par cette réforme faite de petits ajustements techniques : la pérennisation des fonds pour l'insertion des personnes handicapées, qui servent par exemple à des aménagements de poste. "Mathématiquement, plus on s'approchera du taux de 6%, moins il y aura d'argent, relève Didier Roche. Nous avons besoin de passer à un système assurantiel auquel tout le monde cotise, comme on finance par exemple les syndicats." Alors que les concertations avec les acteurs du monde du handicap doivent se poursuivre jusque fin 2018, voilà un axe qui ne semble pas du tout au programme. 

Article issu du site L'express- L'Entreprise du 27 juin 2018

 

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